Le legs de Giovanni Maur

Avec Giovanni Maur, le restaurant Le Saint-Amour s’est doté d’un chic décor «Belle Époque» à la parisienne, un style Art nouveau qui rejoint sa cuisine.

Ses chaises empilables sont exposées au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). Entre Sainte-Foy et le Vieux-Québec, ses décors de grands restaurants traversent le temps. Le designer Giovanni Maur, décédé à 80 ans le 3 novembre, laisse sa marque dans la capitale.


Dans une série web réalisée par le Musée, le designer et décorateur raconte de son accent charmant qu’il «ne portait pas dans les airs» quand le fabricant de meubles de Saint-Romuald Treco lui a confié la conception d’une chaise, il y a plus de 45 ans. Le gérant des ventes l’avait accompagné au Salon de Milan, et ils avaient senti que la tendance allait au plastique. Tout un virage pour la compagnie qui faisait des meubles en bois de style colonial. Et du bonbon pour Giovanni Maur, originaire de Gorizia en Italie, diplômé de l’Instituto d’Arte Industriale et de l’Institut de dessin technique de Québec.

«Il fallait qu’elle soit déplaçable, pas encombrante et elle devait avoir un certain chic», décrit sur cette vidéo M. Maur, qui a mis un an à la concevoir. 

La cave à vin du Michelangelo, renommée pour ses vins, mais aussi pour la qualité de l’aménagement. Une réalisation de 2006.

Elle s’est vendu au-delà de 350 000 exemplaires chez Simpsons, Eaton, au Québec, en Ontario, aux États-Unis et un peu en Europe, énumère Paul Bourassa, historien du design et commissaire invité qui a signé l’exposition permanente Arts décoratifs et design du Québec, présentée dans le pavillon Pierre-Lassonde du MNBAQ. La chaise empilable de la série Avant-Garde 2000, qui n’a pas pris une ride, y trouve sa place. 

«Si je me souviens bien, c’était la première chaise entièrement moulée en plastique au Canada», dit M. Bourassa en entrevue téléphonique, ajoutant qu’elle figure même parmi les 100 premières chaises en plastique moulées à travers le monde. Il trouve sa structure intéressante, avec son derrière «un petit peu grassouillet», une question de solidité dans les moules. «Avec le plastique, à cette époque-là, on en était aux balbutiements.»

M. Bourassa a déjà rencontré Giovanni Maur chez lui, une maison «assez design» qu’il avait lui-même dessinée sur l’avenue Doucet, à Charlesbourg, et où il avait ouvert un bureau dans les années 90. L’historien était intéressé par son travail à l’époque de Treco et cherchait à acquérir des chaises empilables pour le Musée et un ensemble de chambre à coucher, également de la série Avant-Garde 2000. «Dans les années 70, l’an 2000 était loin et mythique!» Il parle d’un homme coloré, sympathique, généreux, étonné qu’on s’intéresse à son travail, mais très heureux et honoré.

Des restaurateurs le saluent

Nicola Cortina se rappelle de nombreux voyages en compagnie de Giovanni Maur, à qui il a confié la signature de son restaurant Le Michelangelo dès 1993. Ils ont arpenté l’Italie «à la grandeur», sont allés à New York, à Toronto pour visiter un nombre incalculable de restaurants et d’hôtels. «Avant de construire, il créait l’âme du restaurant», indique M. Cortina.

Il évoque la vision à long terme du designer pour qui le décor, l’insonorisation, les matériaux, chaque détail avaient son importance. «On a mis deux jours à choisir les chaises, mais 24 ans plus tard, ce sont toujours les mêmes», glisse le restaurateur. Le vitrail de Murano à l’entrée, les chariots à fromages, la coutellerie du Michelangelo ont été choisis avec lui.



Giovanni Maur

Entre Italiens, la connexion était naturelle? «On se comprenait et des fois, on se pognait aussi», rigole M. Cortina. «Il n’avait pas de limite de budget.»

«Giovanni, il ne calculait pas», renchérit Jacques Fortier, copropriétaire du restaurant Le Saint-Amour. Un inconvénient compensé par un effet wow et de belles retombées. «Son expression, c’était : “Il faut que ce soit spécial”. Il faisait tellement des succès avec les gens avec qui il travaillait. Tout ce qu’il a fait pour moi, mon chiffre d’affaires a toujours suivi. Le décor a une influence, mais aussi les aires de travail.»

M. Fortier, qui a fait appel à ses services pour la première fois en 1986, salue son ingéniosité à aménager de petits espaces et à organiser les cuisines et les coins-bars. Une spécialité que le designer a développée en début de carrière en faisant du mobilier pour des bateaux. 

«Il y a des tests à l’international pour voir combien de fois les gens peuvent s’asseoir sur une chaise sans que le tissu devienne usé. Lui connaissait tout ça.»

Il le dépeint comme un «grand artiste», le «roi du dessin», qui est devenu un ami et un mentor.

«Il a laissé une marque. Le nom de Maur ne mourra pas», conclut Nicola Cortina.

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*En mémoire de Giovanni Maur, Le Soleil reproduit un article sur sa carrière rédigé le 24 mars 2001 par le journaliste Louis-Guy Lemieux, aujourd’hui retraité.

Signé Giovanni Maur

Ne cherchez pas le designer Giovanni Maur du 3 au 7 avril. Il sera, comme chaque année, au Salon du meuble de Milan, en Italie, le plus couru du genre au monde. C’est le rendez-vous des plus grands du design qui, comme par hasard, sont Italiens pour la plupart.

Giovanni Maur dit : «La décoration, celle des restaurants en particulier, je ne pense qu’à ça. C’est mon travail, mais c’est aussi un loisir, une passion dévorante. Partout où je voyage dans le monde, je regarde les gens et les choses avec des yeux de designer.»

Québec a la réputation méritée d’être une ville où l’on mange bien. Il y a la bonne cuisine mais il y a aussi le décor chaleureux ou raffiné qui fait le charme des restaurants de Québec. C’est là que notre designer intervient.

Avec Giovanni Maur, le restaurant Le Saint-Amour s’est doté d’un chic décor «Belle Époque» à la parisienne, un style Art nouveau qui rejoint sa cuisine.

Nommez spontanément vos dix restaurants préférés à Québec et sa banlieue. Il y a de fortes chances que le nom de Giovanni Maur soit associé, côté décoration, à la plupart d’entre eux.

Le Michelangelo est un restaurant luxueux avec ses marbres, ses riches boiseries, ses tentures recherchées. Il a aussi sa propre personnalité. Ce luxe et cette personnalité, c’est le designer qui les a créés, en 1993, après de longues discussions passionnées avec le patron des lieux, Nicola Cortina.

«Seules les chaises et les luminaires ont été achetées [en Italie bien sûr], dit M. Maur en entrevue. Tout le reste, murs, plafonds, planchers, ameublement, bar, salons privés, matériaux, couleurs, je les ai choisis, pensés, dessinés. C’est une des réalisations dont je suis le plus fier.»

En 1987, la brasserie Le Gaulois, dans le Vieux-Québec, devenait le restaurant D’Orsay. Boiseries d’acajou, banquettes chics, bars surélevés, atmosphère chaleureuse. Son propriétaire, Marcel Veilleux, voyait grand et loin. C’est à Giovanni Maur qu’il avait fait appel. «Quinze ans plus tard, le D’Orsay n’a pas pris une ride, dit le designer. C’est l’avantage de travailler avec des matériaux de qualité.»

La superbe terrasse-verrière d’inspiration art nouveau du Saint-Amour, rue Sainte-Ursule, toujours dans le Vieux-Québec, est signée Maur. On sait que Jacques Fortier et Jean-Luc Boulay ont d’autres projets de rénovation avec la complicité du même artiste.

La sympathique trattoria ou bistrot italien, Le Portofino, rue Saint-Jean, doit beaucoup de sa gaieté et de son charme au même designer qui en a fait l’aménagement, en 1995, à la demande de James Monti et François Petit.

Le Café de la Paix, la Crémaillère, le Gambrinus, la Caravelle, le Paris-Brest, la discothèque le Dagobert et d’autres, lui doivent leur décor propre en tout ou en partie. Il est d’ailleurs copropriétaire du Paris-Brest et du Dagobert. À Montréal, il a réalisé quelques restaurants, dont le Campari, en plus de la discothèque Métropolis.

Un art

On ne naît pas designer. C’est un métier qui s’apprend. C’est parfois un art. Giovanni Maur a étudié le design durant cinq ans, à Gorizia, dans le nord-est de son Italie natale. «C’était une bonne école axée sur le mobilier, dit-il. Il fallait bien connaître les matériaux, le bois en particulier, en plus du dessin. J’en suis sorti designer et un peu ébéniste».

Il est arrivé à Québec pour suivre sa sœur mariée à un Québécois. Et il y est resté. Il a eu des offres pour aller s’installer à Montréal. Il n’était pas question de s’éloigner de sa soeur et de la famille.

Il s’est fait une réputation chez le manufacturier de meubles Tréco où il y a collectionné les trophées remis par l’Association des manufacturiers de meubles du Québec. «J’ai créé, dit-il, des mobiliers de bibliothèque. de bureau, etc. J’ai dessiné notamment pour Tréco une chaise en plastique révolutionnaire pour l’époque. C’est IPL, de Saint-Damien qui la produisait».

Puis, il y a 19 ans, il ouvre son bureau privé de designer. Ses amitiés et son talent feront le reste.

«Tous mes amis à Québec, dit-il, étaient des garçons de table italiens ou français qui sont devenus par la suite les propriétaires de leurs restaurants. Ils se sont tout naturellement adressés à moi pour faire la décoration de leur établissement».

Quels sont ses maîtres à penser, ses modèles dans son métier?

«Le plus grand de tous, Frank Loyd Wright, est architecte, dit-il. Son musée Guggenheim, à New York, je le visite régulièrement. Ce ne sont pas les tableaux que je regarde en premier, c’est l’aménagement intérieur, la décoration, la disposition des objets, les jeux de lumière, les couleurs.

Parmi les designers italiens qui l’impressionnent le plus, la plupart sont aussi architectes. Ils s’appellent Mario Bellini (mobilier et luminaire), Vico Magistretti (mobilier et luminaire) et Renzo Piano, l’architecte de l’aéroport international Kunsai, au Japon.  Louis-Guy Lemieux