Un énorme défi identitaire

L'historienne Russel-Aurore Bouchard est d'avis que le début de notre histoire remonte à 1671.

342 années d'histoire, 342 années qui ont mené à un malaise identitaire, lié d'une part à une décroissance démographique, mais qui n'est, d'autre part, pas étranger à la dépendance de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean envers la grande entreprise, une réalité qui ne date pas d'hier. Une région enfermée dans le présent, sous-développée et prisonnière de son état d'extraction des matières premières.


Ce constat est le résultat d'une longue réflexion de Russel-Aurore Bouchard, qui a cumulé 41 années d'expérience comme historienne et a signé plus de 70 ouvrages à ce jour. Malgré ce constat sombre, Mme Bouchard ne se dit pas pessimiste, mais plutôt réaliste et réfléchie.

Rectifiions le tir d'entrée de jeu. 342 années d'histoire, non, ce n'est pas une grossière erreur. L'historienne réfute la thèse que la fondation de la région remonte à 1838, ciblant plutôt 1671 comme le réel début de l'histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean. «Le vrai début de notre histoire date de 1671 avec la première habitation implantée par les propriétaires du poste de traite de Tadoussac. C'est ça, la naissance officielle du sédentarisme et du peuple métis sur notre territoire», soutient Mme Bouchard.



L'historienne s'appuie sur les années de fondation des autres grandes villes du Québec pour développer son argumentaire. «Autant pour Québec en 1608 que pour Montréal en 1642, les dates de fondation concordent avec l'implantation des premières habitations», résonne-t-elle, sans pour autant diminuer l'importance des événements de 1838. «C'est l'ouverture à l'entreprise forestière et coloniale», commente Mme Bouchard.

Bilan

Invitée par Le Quotidien à tracer un bilan de l'histoire de la région, l'historienne a accepté de se prêter au jeu, malgré cette mésentente sur la date de fondation. Et elle n'a pas enfilé ses gants blancs pour l'occasion.

Selon Mme Bouchard, le premier défi de taille auquel fait face la population régionale, un défi qu'elle qualifie d'inédit, est la question identitaire. «Ce malaise identitaire date de 1838. La région s'est ouverte à la colonisation avec comme rêves associés de former une nouvelle population, mais ces rêves ont été détournés. Notre identité a été malmenée et menacée puisque la région n'était pas prête à accueillir de nouvelles gens et à les forcer à s'adapter à nos repères régionaux», soutient Russel-Aurore Bouchard.



Autre fait en cause: en 1922, l'industrie de l'aluminium a révolutionné le type d'interventions économiques de la région. Et en 1962, la région a manqué le plus beau rendez-vous de son histoire, selon Mme Bouchard. «Nous avons nationalisé le peuple et non le pouvoir hydroélectrique à l'époque. Depuis, nous sommes en sous-développement économique puisque l'Alcan et Price ont conservé leurs pouvoirs. Les monopoles se sont emparés de nous», se désole l'historienne.

«Pour avancer, il faut qu'une population se demande ce qu'elle construit. Mais derrière ce désir, il y a un besoin identitaire que nous n'avons pas. On se cherche», ajoute Mme Bouchard, qui cite en exemple le projet de centrale hydroélectrique de Val-Jalbert qui, selon elle, vient miner l'industrie touristique.

«La construction de l'humanité est une oeuvre toujours inachevée qui dépend de ce qu'on lui laisse et non de ce qu'on lui prend», philosophe Russel-Aurore Bouchard.

Avenir

Si le défi est de taille, la région n'est pas sans outils pour remonter la pente, estime l'historienne. «D'abord, nous sommes un peuple authentique avec une jeune histoire. Puis, nous avons le fjord et le lac Saint-Jean, qui forgent notre identité et qui nous offrent une ouverture sur le monde. Et finalement, nous possédons de nombreuses ressources naturelles. Par contre, il s'agit de faire les bons choix avec ces atouts. Présentement, nous ne prenons pas de choix, on ne se développe pas, on ne fait qu'assister au développement, et voilà que les richesses s'en vont», détaille Mme Bouchard, qui se dit anxieuse lorsqu'elle tente de projeter la population saguenéenne et jeannoise dans l'avenir.