Délinquance

Je suis une délinquante. Je marche beaucoup, et je ne traverse souvent pas aux intersections. Fréquemment, je clopine dans la rue, très tôt le matin, plutôt que sur les trottoirs. Le Progrès-Dimanche comparait, en fin de semaine, la tolérance de Montréal et de Saguenay face aux piétons dissidents, croquant sur le vif un de ces mauvais sujets qui traversent la rue Racine. L'article en appelait à plus de sévérité des policiers, qui n'ont distribué que huit contraventions en contre 19 000 à Montréal, au cours des dernières années. Je le prends personnel. À moi toute seule, je commets plus d'infractions que cela en un mois. Surtout en cette saison où dégèlent les matamores amateurs d'accélération et où toutes les lignes et signaux ont disparu de la chaussée!


J'ai des circonstances atténuantes, Monsieur le juge! Et je mérite la tolérance policière qui fait de notre ville un endroit imparfait pour tous, piétons, cyclistes et automobilistes, mais où il fait bon vivre.

Notre ville, au contraire de Montréal, néglige le piéton, cette bête rare et intrigante, qui se multiplie pourtant sous les assauts de la morale des saines habitudes de vie.

Les trottoirs défoncés et inégaux me poussent à déambuler, perdue dans mes pensées, sur la chaussée. Surtout quand il a plu ou glacé, et que certaines sections se transforment en patinoires ou en pataugeuses. Tôt le matin, vous n'avez pas d'idée de la quantité de moufettes qui labourent vos terrains, fouillent vos poubelles. Je me garde un peu de distance...

Passages

Les passages piétonniers, dont celui entre Hôtel-de-ville et Morin, sur la rue Racine, sont peu signalés, par de ternes panneaux sur le trottoir, perdus dans le brouhaha ambiant d'un centre-ville. Il faut toiser du regard l'automobiliste pour s'assurer qu'on ne finira pas en purée. Surprenant qu'à la sortie du pont Sainte-Anne, côté nord, on n'ait pas encore ramassé de la confiture de piéton ou de cycliste, alors que l'automobiliste est lancé sur un quatre voies rapides, avec pour seul indice du passage piétonnier ces modestes panneaux, ni fluos, ni lumineux!

Le test fait autour du Cégep de Jonquière, avec des pancartes fluos campées au milieu de la rue, fonctionne, mais cela provoque des embouteillages sur Saint-Hubert et on doit les ôter l'hiver. Il suffirait, pour enlever un peu de trafic sur Saint-Hubert, de permettre aux détenteurs de vignettes de stationnement du cégep de se faufiler par la voie absurdement réservée aux autobus à partir de la rue Panet.

Feux

La ville renâcle à placer des feux piétonniers aux intersections, notamment sur Talbot, de peur de ralentir le trafic. Et ailleurs, là où ils existent, les automobilistes me fusillent du regard si je les déclenche, alors que la circulation relax me permet de passer. C'est par respect pour eux, que souvent, je ne les utilise pas.

Cela, quand les feux fonctionnent. Souvent, le damné mécanisme à effleurement adopté par la ville refuse de s'allumer! J'appuie, j'effleure, je caresse, de la paume, du dos de la main, du poing, avec ou sans gants, et je renonce! Essayez de traverser au coin Talbot et de l'Université ou Champs-Élysées! Un exploit: pas de feux piétonniers, près de tous ces commerces et restos. Quand la circulation démarre dans une direction, le virage à droite passe au vert dans la zone protégée: je dois guetter dans mon dos la bagnole qui déboîte, vrombit, et tourne sans ralentir ni clignoter. Car le clignotant fait partie des décorations de Noël plus que des outils chez nous! Je traverse donc dorénavant Talbot entre les intersections. Je jauge mieux le trafic bloqué au feu, plus loin, sans devoir jouer à la petite fille de l'exorciste dont la tête tourne sur 360 degrés. Je me réfugie sur le terre-plein, et quand la vague se calme de l'autre côté, je passe. En sécurité.

Alors, Monsieur le juge, ne condamnez pas l'humble piéton de Saguenay: il tente seulement de se tenir en forme et rester en vie. Mettez-vous à sa place!