La mort, le printemps arabe, la menace néo-fasciste en France, le fossé des générations, les contradictions du commerce vert: le nouvel album du groupe Tryo, Ladilafé, est en prise directe avec son époque. S'il se lit comme un journal, les musiques enjouées rendent l'écoute agréable, comme quoi on peut réfléchir et danser, simultanément.
«Le reggae est toujours présent dans notre musique, omniprésent même. Il reste que ce disque répond au précédent, puisque nous l'avons souhaité plus dynamique, plus festif, en vue de ce qui se passerait sur la scène. Nous voulons que ça danse», a expliqué le percussionniste Daniel Ito il y a quelques jours, lors d'une entrevue téléphonique accordée au journal.
L'autre constante, outre les rythmes jamaïcains, ce sont les harmonies vocales. «Elles définissent l'identité du groupe, mais cette fois-ci, on a été plus loin en multipliant les pistes, les résonnances, rapporte le musicien. On le remarque sur Nous génération, une pièce qui jette un regard sur nos enfants. On a ajouté du scratch, des couleurs plus urbaines.»
Il n'y a pas de scratch sur Marine est là, en revanche. La Marine en cause, c'est évidemment la fille de Jean-Marie Le Pen, l'ex-leader du Front National. Si l'élection de François Hollande à la présidence de la France a offert des motifs d'espoir, le score réalisé par la politicienne d'extrême droite laisse entrevoir des lendemains qui déchantent.
«Marine Le Pen nous fait plus peur que son père parce qu'elle est plus douée, plus efficace. Elle a effacé les traces du passé de son parti et de nombreux jeunes l'apprécient», fait observer Daniel Ito. Le sujet est sérieux, mais une fois de plus, il est porté par une musique entraînante, ce qui correspond à l'approche favorisée par Tryo.
Parlant de l'album comme du «Polaroid d'un moment», le percussionniste raconte que Printemps arabe, une autre composition arrimée à l'actualité, exprime la joie provoquée par le mouvement d'émancipation qui a pris naissance en Tunisie, l'année dernière. «Moi qui suis un Chilien exilé, j'aurais tellement voulu voir ça chez nous», confie Daniel Ito.
Le groupe rend aussi un hommage touchant à Patricia Bonnetaud, celle qui lui a mis le pied dans l'étrier en lui permettant de sortir son premier album. Le titre de cette chanson, Ladilafé, était aussi le nom du dernier label créé par cette amie disparue plus tôt cette année.
On perçoit un voile de nostalgie dans cette composition, ce qui donne la mesure du chemin parcouru depuis que Tryo est sorti de l'anonymat, il y a une quinzaine d'années. Il est loin, le temps de sa prime jeunesse. Pourtant, le quatuor est toujours soudé, toujours complice, et son succès ne se dément guère.
«On est surpris par toute cette histoire. Au début, on était jeunes. On était incontrôlables, mais depuis, on a appris à vivre ensemble, à faire des efforts pour y arriver. Le dialogue et le temps nous ont aidés, tout comme l'amour de la musique», résume Daniel Ito.
S'agissant des spectacles, enfin, il promet que le groupe reviendra au Québec et possiblement au Saguenay-Lac-Saint-Jean, des territoires qu'il fréquente avec assiduité, depuis plusieurs années. Une tournée aura lieu au printemps, dans la foulée de celle que Tryo vient d'amorcer en France.