Le grand perdant

« Samedi 13 mars 2010, section 102, rangée DD, siège 13 : 195.35 $ " taxes et bière : 228.35 $ ». C'est ce qui est inscrit (sans la bière évidemment) sur le billet que l'ami Jean-Hughes Tremblay, l'ancien distributeur Molson à Chicoutimi, m'avait remis au retour d'un match Boston-Montréal au Centre Bell. Le prix de cette place 13 a certainement augmenté encore de quelques dollars depuis ce samedi 13 mars 2010.


Je conserve précieusement ce billet, car il symbolise le mépris que manifeste l'industrie de la Ligue nationale de hockey à l'endroit de l'humble spectateur, du partisan fidèle, du fanatique qui se prive souvent de l'essentiel pour assister à un match dans nos grandes cathédrales du hockey professionnel.

Québec se prépare



Et nul doute que c'est encore le simple spectateur qui défraiera les pots cassés quand les propriétaires et leurs lockoutés millionnaires s'entendront sur le partage du gâteau. Car les plus fortunés n'en souffriront guère et les propriétaires de loges corporatives géreront autrement le budget consacré à la publicité et aux frais de représentation.

Ce conflit entre gens riches et célèbres retardera-t-il le retour des Nordiques dans la LNH ? « Nullement », m'a répondu un peu étonné de ma question un ami de Québec rencontré à des funérailles, avant-hier, à Chicoutimi. Et il m'a regardé d'un air encore plus intrigué quand j'ai fait allusion à l'inflation galopante que subit l'organisation administrée par le commissaire Gary Bettman avec ce plafond salarial qui dépasse maintenant les 70 millions $, soit 60 millions $ de plus qu'à la vente de l'équipe à des intérêts du Colorado, le 25 mai 1995.

« Mais les amateurs pourront-ils payer régulièrement jusqu'à 200 $ pour un match au futur amphithéâtre multidisciplinaire dont notre riche gouvernement et la Ville de Québec financeront la construction estimée à un demi-milliard de dollars ? » La question a paru l'ennuyer. Dans un sourire amer, il m'a lancé en mettant un terme à la conversation sur le sujet : « ... savais-tu que les abonnements de saison sont presque tous déjà réservés ? ... Comme au Centre Bell, les partisans retardataires seront bientôt placés sur une liste d'attente... »

Ken Dryden a vu juste



Qui a raison dans l'affrontement LNH-joueurs ? Les deux clans évidemment. Les athlètes sont passés d'un extrême à l'autre. Exploités à l'époque de Maurice Richard comme à celle de Guy Lafleur, ils sont devenus d'une cupidité dégoûtante. Quant aux propriétaires dont la majorité perd de l'argent et pige de plus en plus dans les poches des contribuables, ils n'ont jamais le courage de résister aux demandes insensées. Voilà pourquoi nos dieux du stade vont l'emporter et que l'amateur sera encore une fois la victime, le grand perdant.

Tout comme la société d'ailleurs. Et c'est Ken Dryden qui l'explique le plus clairement dans son livre Le Match, véritable chef-d'oeuvre de la littérature sportive. Ce gardien de but qui, avec le Canadien, a participé à la conquête de la coupe Stanley six fois en huit saisons, soutient que l'escalade des salaires fait bien plus que fragiliser le hockey. Il a surtout engendré un mouvement désastreux pour la société.

Le mauvais exemple

« Assister à un match de la LNH, aujourd'hui, philosophe l'auteur, c'est comme assister à une représentation du roi Lion ou du Fantôme de l'opéra ; une sortie qu'on prépare longuement et qu'on ne fait qu'une ou deux fois l'an. » Mais le grand péril, insiste celui qui fut élu député libéral dans son Ontario natal après sa carrière de hockeyeur et d'avocat, c'est le monde qui le subit présentement.

On le voit, constate-t-il, chez les cadres supérieurs d'entreprises qui se partagent des sommes immenses et des privilèges de toutes sortes. Ils sont coupés d'une population qui interroge de plus en plus l'avenir.

Les trafiquants de la haute finance sont encore plus dangereux. Leur voracité a même fait basculer l'économie dans une crise qui continue de gruger les États-Unis et l'Europe.