Réjean Girard, le géologue à la tête de IOS Sevices géoscientifiques, roule sa bosse dans des campements de prospection du Nord québécois depuis 30 ans. Il a travaillé sur à peu près tous les projets qui font la manchette. Il a bien observé le gouvernement de Jean Charest qui a procédé, selon lui, à une grande récupération politique d'un boom minier dans lequel il n'a rien à voir. En fait, ce boom tient essentiellement à la bulle immobilière chinoise et va s'effondrer en quelques semaines, lorsque cette même bulle immobilière va exploser.
M. Girard n'est pas étonné que des entreprises se plaignent déjà qu'elles doivent courir après des factures de plusieurs dizaines de millions de dollars impayées par des entreprises indiennes ou chinoises. De retour du Congo, où il a été témoin du comportement des investisseurs chinois, Réjean Girard, dont la femme est chinoise, en tire des leçons assez sévères. «Quand un travailleur chinois tombe dans un haut fourneau d'une aciérie de Wisco, en Chine, on n'arrête pas la production. Pensez-vous que le PDG de ce géant va mal dormir parce qu'il fait attendre un bureau de génie-conseil de Chicoutimi à qui il doit 10 ou 15 millions$. La majorité des minières junior qui opèrent dans le Nord sont appuyées sur des géants chinois ou indiens. Or, dans sa culture, le Chinois ne respecte un contrat que lorsqu'il a un intérêt à le faire.»
Le Plan Nord ouvre aussi la porte au risque de corruption. Ces grandes sociétés connaissent très bien la mécanique par laquelle on obtient que l'État ferme les yeux devant des pratiques inacceptables. Ce risque s'ajoute à l'incurie de la gestion des projets qui fait en sorte que «tout le monde prend sa cote», ce qui fait exploser les coûts des projets. «En ce moment, nous réalisons des travaux pour un projet minier à Bégin. C'est un petit projet pour un produit spécifique, le fer. Nous parvenons à gérer le projet avec des coûts de forage à 200$ du mètre. Le même forage dans Adriana se fait à 1400$ du mètre», explique le géologue.
Exclusivement du fer
Une autre grande faiblesse du Plan Nord est reliée à ce qui ressemble à de la mono-industrie. Cette concentration dans le même secteur économique de l'acier va fragiliser tous les investissements, qu'ils soient publics ou privés.
«Le Plan Nord, c'est 90% de projets dans le fer. Le plus gros projet minier de l'histoire du Canada, mené par Adriana dans la fosse du Labrador, nécessitera l'aménagement de 1500 kilomètres de voies ferrées à 6 M$ du kilomètre. Ce projet est toutefois dirigé par un finissant au baccalauréat en biologie dont l'oncle est cadre supérieur au sein de l'entreprise chinoise derrière Adriana Ressource. J'ai rappelé mon équipe sur ce projet, ça n'a pas de sens», ajoute le Chicoutimien.
«Il va y avoir d'autres Schefferville. Tous les projets en ce moment à l'étude dans le secteur du fer vont arriver en même temps à échéance avec d'autres projets semblables ailleurs dans le monde. Tout ce minerai va donc arriver sur le marché en même temps. Les premiers projets qui vont fermer sont ceux aux coûts les plus élevés, ce qui est le cas pour les projets du Nord du Québec, sans compter qu'ils sont confrontés à un climat épouvantable. À titre d'exemple, Schefferville opérait seulement 9 mois par année même si, dans les études, on parlait toujours de 12 mois. Travailler le minerai de fer à -50 degrés Celsius relève de l'exploit», précise le géologue.
Pendant cette entrevue, le patron d'IOS a ouvert sa boîte de courriels pour faire lire au représentant du Quotidien le message d'un ingénieur de la firme Roche qui enjoignait IOS de reprendre le travail à la Baie James sur un projet minier. Réjean Girard refuse et admet qu'il préfère laisser un contrat de 10 M$ sur la table. «Si les Chinois ne payent pas, il n'y a pas de travail. Dans cette industrie, pour se faire payer, il faut savoir comment serrer les couilles de celui qui te doit de l'argent. Ça prend de l'expérience pour leur serrer les couilles de la bonne façon.»